Le 4 septembre, les Chiliens ont massivement rejeté par référendum le projet de loi fondamentale sur la nouvelle Constitution. Ce projet, né des mouvements sociaux de 2019, excessivement innovant, s’est heurté à la réalité sociologique et politique du pays. La droite, pour sa part, a su mener une campagne d’opposition habile afin de faire basculer le vote en sa faveur.
Le référendum en chiffres : un rejet franc et massif
Le référendum sur le projet de nouvelle Constitution au Chili, pays de 19 millions d’habitants, a rassemblé 13 millions de votants sur un corps électoral de 15 millions, soit une participation de plus de 85 %. Ce chiffre historique fut notamment facilité par un dispositif de vote électronique permettant une mobilisation générale. 62 % des électeurs ont ainsi refusé le texte devant remplacer celui hérité de la dictature d’Augusto Pinochet en 1980, contre 38 % de votants favorables. Si le rejet était lisible depuis plusieurs mois, l’ampleur du résultat interpelle.
Un processus né de mouvements sociaux
En 2019, de nombreux mouvements sociaux se sont traduits par de gigantesques manifestations et ont abouti à l’élection du jeune président actuel, Gabriel Boric. Le système économique néolibéral instauré durant l’ère Pinochet, conduisant à de multiples privatisations et à de très fortes inégalités, fut ainsi profondément remis en cause. Le gouvernement précédent de Sebastian Piñera, garant de cet héritage mais acculé face à l’agitation civile, a alors concédé l’organisation d’une Convention constitutionnelle, puis d'un référendum portant sur la nouvelle Constitution.
Un projet de nouvelle Constitution excessivement innovant
Le projet de nouvelle Constitution, ambitieux mais complexe, lourd de 388 articles, apparaît à posteriori comme excessivement innovant pour une société chilienne réputée conservatrice :
- Politique : Suppression du Sénat, puis proposition d’une nouvelle chambre pour remplacer ce dernier, et du Tribunal constitutionnel.
- Société : Proposition du droit à l’avortement, pour l’heure réservé aux cas de viol et de malformation fœtale.
- Économie : Rééquilibrage du rôle de l’État dans l’économie et prise en charge de services fondamentaux tels que la santé et l’éducation, tandis que ces deux secteurs ainsi que les transports, l’énergie et l’accès aux ressources fondamentales (l’eau) sont privés au Chili.
- Nation : Prise en compte des revendications des peuples autochtones (10 à 12 % de la population) et reconnaissance du caractère plurinational de l’État chilien.
L’opposition de droite : une offensive habile
La droite chilienne a mené une campagne d’opposition habile sans pour autant signifier son refus d’une nouvelle Constitution et en rejetant, de ce fait, l’héritage de Pinochet. La contestation s’est cristallisée sur certaines innovations en matière de droits individuels et collectifs :
- La question indigène : Depuis le 19e siècle, le Chili est devenu un État-nation mais le peuple mapuche demande la reconnaissance de son statut. La gauche soutient cette revendication tandis que la droite a souligné une importance excessive accordée aux droits indigènes.
- Les droits sur la propriété : Une campagne de désinformation fut orchestrée en comparant une évolution possible du Chili avec les systèmes en vigueur à Cuba, au Venezuela ou dans l’ancienne Union soviétique.
- Le sujet de l’avortement : Durant toutes les messes ayant précédé le scrutin, des prêtres ont lu des amendements, des articles de la future Constitution et appelé à voter contre car celle-ci permet l’avortement et le mariage homosexuel. Leur impact fut significatif sur une population croyante.
Leçons et conséquences d’un échec
La gauche revient au pouvoir au Chili et ailleurs en Amérique latine mais n’est pas hégémonique. Elle surgit dans des pays fragmentés, radicalisés où les populations sont animées d’une défiance envers les systèmes politiques. Gabriel Boric fut ainsi élu président de la République non par adhésion à son programme, ses réformes sociales ni même au processus d’Assemblée constituante, mais pour éviter l’aventurisme d’extrême-droite incarné par José Antonio Kast. Par ailleurs, les 155 membres de cette Assemblée constituante, progressistes, ne sont pas représentatifs de la réalité sociologique du pays. Affaibli, Boric est désormais en quête d’un nouveau pacte avec tous les partis, notamment ceux de centre-droit et de droite, et devra modérer ses ambitions et celles de son gouvernement afin de sortir de la crise politique actuelle.
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