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Mais où est passée l'innovation ?

Bruno Le Maire et Sylvie Retailleau, tous deux ministres du gouvernement d'Elisabeth Borne
Bruno Le Maire et Sylvie Retailleau, tous deux ministres du gouvernement d'Elisabeth Borne
Montage à partir de : AFP/Archives - Ludovic Marin et Jacques Witt / Sipa Press/SIPA

Le vendredi 20 mai dernier était dévoilée la composition du nouveau gouvernement, dirigé par Elisabeth Borne. A la 11e place dans le protocole, était annoncée la nomination de Sylvie Retailleau en tant que « Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ».

Mais où est donc passée l’innovation, qui se tenait auparavant aux côtés de l'enseignement supérieur et de la recherche, lorsque la fonction était occupée par Frédérique Vidal ?  L’innovation aurait-elle disparu des radars pour le second mandat d’Emmanuel Macron ?

 

Les politiques en faveur de l’innovation durant le quinquennat précédent

La France a, durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, connu une progression favorable dans la compétition des pays les plus innovants, atteignant le 11e rang mondial en 2021 selon le Global innovation index (contre un 12e rang en 2020 et un 16e rang en 2018-2019). Selon le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, qui avait lui-même communiqué sur le sujet en 2021 (voir communiqué de presse du ministère) cette progression récente, dans le contexte de la crise sanitaire, serait le résultat de plusieurs politiques et programmes, au premier plan desquels se situe la protection des entreprises durant la crise sanitaire, mais aussi le Plan de relance 2020-2022, le quatrième volet du programme Investissement d’Avenir (2021-2025), ou encore la loi PACTE (loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises) de 2019.

Si l’innovation était rangée, durant le quinquennat précédent, dans le portefeuille ministériel de l’enseignement supérieur et la recherche, il est pourtant frappant de constater que la plupart de ces actions étaient portées par le ministère de Bercy.

Ainsi, le « plan de relance économique de la France 2020-2022 » est géré par le ministère de l’Economie et des Finances. Le quatrième volet du programme Investissement d’avenir est, comme les précédents, piloté par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), rattaché directement au Premier ministre. Enfin, la loi PACTE fut portée par le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire. Celle-ci abordait un certain nombre de sujets mais devait notamment favoriser des « entreprises plus innovantes » (selon le titre du chapitre 2 de ladite loi). Elle oeuvre dans le sens d’une dynamisation des liens entre la recherche publique et le secteur privé. Cela passe notamment dans la loi par le fait de modifier le code de la recherche sur le sujet de la participation de chercheurs et enseignants-chercheurs du public à des entreprises en élargissant le cadre afin de la développer (durée, quotité - articles 119 et 120 de la loi).

Ainsi, si les ponts entre les deux ministères lors du quinquennat précédent étaient présents, dans le domaine du soutien à l’innovation, force est de constater que Bercy a davantage porté ce sujet que la rue Descartes. Est-ce ce constat qui a présidé au renommage des ministères en 2022 et cela cache-t-il une réattribution en faveur de Bercy ?

La variation des intitulés ministériels

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a connu une histoire riche de variations en terme de nom, de périmètre et de rattachement, au gré des politiques gouvernementales. On trouve, dès le début de la cinquième république - bien que de manière irrégulière-, des ministres - ou assimilés - chargés de la recherche (avec parfois un autre domaine apposé : l’industrie, la technologie, ou parfois les « questions atomiques et spatiales »). Dans les années 1970-1980, on trouve aussi des secrétaires d’Etat ou ministres « des Universités ». C’est sous le deuxième gouvernement Chirac de 1986-1988 qu’apparaît pour la première fois un ministre délégué à « l’enseignement supérieur et la recherche ». Cet intitulé sera conservé par la suite[1], tantôt attribué à un ministre, un ministre délégué ou un secrétaire d’Etat, tantôt sous l’autorité du ministère de l’Éducation nationale tantôt indépendant.

Emmanuel Macron et Edouard Philippe avaient fait le choix, en 2017, d'y consacrer un ministère de plein exercice, indépendant du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Mais ils avaient surtout innové en apposant, pour la première fois, au ministère, le terme d’innovation, le « MESR » devenant le « MESRI ». Peut-être avaient-ils alors cédé à un mimétisme avec l’Europe, en particulier la Commission européenne, au sein de laquelle la recherche et l’innovation sont traitées conjointement par une direction générale à la recherche et à l’innovation. Peut-être souhaitaient-ils aussi affirmer le rôle et l'importance de la recherche publique, et notamment de la recherche fondamentale, pour favoriser l'innovation. 

Même si la page consacrée au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le site gouvernemental semble ne pas être à jour (selon une consultation réalisée le 29/05/22)[2], l’annonce du gouvernement du 20 mai dernier était sans appel : Sylvie Retailleau n’était pas la ministre en charge de l’innovation.

Où sera donc l’innovation pour ce quinquennat ?

Bercy a aussi connu les vicissitudes du renommage dans le temps, mais n’a pas pour autant explicitement hérité de l’innovation en 2022. En effet, de « ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance », il est passé au plus pompeux « ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique », marqué du besoin national d'indépendance économique qui était cruellement ressorti dans la crise sanitaire de la Covid-19.

Si le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a perdu l’innovation, l'hypothèse la plus évidente serait néanmoins que cela se fasse au profit de Bercy. L’expérimentation d’un grand ministère réunissant l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation aura donc été de courte durée (un quinquennat). Celle-ci n’a-t-elle finalement pas su convaincre l’exécutif, qui a pu constater que les politiques d’innovation conduites avaient davantage ciblé l’industrie et que ce nom n'était finalement que "cosmétique" ? L'exécutif a-t-il cédé à une demande de l'industrie elle-même, de ne pas voir reconnaître ailleurs que dans son ministère de tutelle, la capacité d'innovation ? Ou bien serait-ce que les évolutions de l’enseignement supérieur (fusions de site, expérimentations en tous genres) et des politiques de recherche (notamment la récente Loi de programmation de la recherche) sont déjà un trop gros morceau pour la rue Descartes pour ce quinquennat ? 

Ainsi, si l’ajout de l’innovation en 2017 avait été un signal important sur la volonté de créer des ponts entre la recherche publique et l’entreprise, son abandon n’en donne pas moins matière à interprétation.

Il n'y a toutefois pas vraiment de doute, compte tenu de la vision politique portée par Emmanuel Macron depuis 2017, et de son programme de campagne lors de la présidentielle 2022, que l'innovation restera présente en tant que priorité dans ce quinquennat, à travers les programmes tels que le plan d'investissement France 2030 (annoncé en octobre 2021) et le "PIA4". La recherche et l'innovation sont même au coeur du "pacte productif" proposé par Emmanuel Macron aux français dans son programme présidentiel. 

Enfin, il est encore trop tôt pour constater une quelconque réattribution des politiques et programmes, entre la rue Descartes et Bercy, et il n'est pas sûr que le changement d'intitulé ait un impact concret sur les attributions de la rue Descartes. Mais on pourra par exemple surveiller dans les prochaines semaines la gestion du Crédit impôt recherche (CIR), qui bénéficiant uniquement aux entreprises était jusqu’à présent géré par le MESRI…Quant aux programmes les plus "innovants" tels que France 2030, il semble que ce soit le Secrétariat général pour l'investissement qui emporte la confiance de l'exécutif pour leur pilotage, en terme de bonne gestion et de suivi des dépenses. 

 

 

[1] Avec une exception sous les gouvernements Juppé.

[2] Le nom du ministère n’y a pas été modifié, il est resté celui du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, contrairement à ce qui est affiché sur le site du ministère lui-même.

 

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