De l’extérieur, c’est un immeuble comme tant d’autres à Pierrefitte. Mais une fois la porte passée, les câbles électriques enroulés en pagaille au-dessus du palier du premier étage font vite comprendre que quelque chose cloche. Amel*, 32 ans, nous ouvre la porte de son appartement, qu’elle refuse encore de qualifier de chez-soi après trois ans. « Ici, on ne se sent pas vraiment dans un logement. On a un toit sur la tête et c’est tout », constate la mère au foyer,-t-elle d’un regard dépitée. Dans le salon éclairé à l’ampoule, un canapé d’angle sert de lit à Amel et son mari Brahim, agent de tri à l’aéroport de Roissy. Le couple partage la pièce avec leur petit dernier, Karim, deux ans. Dans la chambre voisine, au milieu des posters d’animaux, de l’alphabet et des tables de multiplication, Latifa, 11 ans, et Rayan, 9 ans, occupent un lit superposé. Au total, cinq personnes vivent dans ce 39 m2 exigu, aux murs noircis par l’humidité, pour 900 € par mois.
L’histoire commence en février 2018. Fuyant un mari violent à Toulon (Var), Amel arrive en région parisienne avec Rayan et Latifa, alors âgés de 6 et 8 ans. Elle trouve l’appartement via un intermédiaire, un certain Hassan, qui le lui fait visiter, en lui assurant travailler pour une agence immobilière du centre-ville de Pierrefitte. « Je ne voulais pas d’un truc au noir. J’étais seule avec mes enfants à l’époque, j’avais besoin des aides de la CAF », explique la jeune maman. En avril 2018, les premières taches noires font surface sur les murs du salon, tandis que des gouttes d’eau coulent sur les parois de la chambre des enfants. Amel se rend alors à l’agence… qui lui affirme que Hassan ne travaille plus pour eux !
La propriétaire du logement – qu'Amel préfère ne pas nommer pour des raisons de sécurité – engage alors des travaux. Mais, ce n’est pas suffisant : six mois plus tard, l’humidité revient, encore plus forte. « C’était comme une invasion », affirme la mère de famille. La situation empire et semble se généraliser à l’immeuble : l’eau usée des toilettes remonte régulièrement dans la douche, tandis que la machine à laver du voisin du haut fuit dans la cuisine.
70 % d’humidité
Commence alors une longue bataille administrative encore loin d’être finie. En décembre 2018, le service d’hygiène de la mairie organise une première inspection du logement, à la demande de la famille. Le procès-verbal, que nous avons pu consulter, fait notamment état d’un taux d’humidité de 70 %, ainsi que du risque élevé d’incendie que présentent les câbles situés au-dessus de la porte d’entrée. Légalement, tout semble correspondre : un logement est considéré « indigne » s’il « expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ». Le rapport souligne également que l’appartement ne dispose pas d’un permis de louer : ironique, quand on sait qu’en octobre 2018, Pierrefitte-sur-Seine devenait pourtant la première commune de Seine-Saint-Denis à avoir introduit ce dispositif, censé faciliter la lutte contre les marchands de sommeil. Une innovation nécessaire dans le département avec la plus forte proportion de logements potentiellement insalubres en Île-de-France (7,5%), selon l’institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Île-de-France (IAU).
Le rapport des services d’hygiène est ensuite corroboré par des certificats médicaux. En janvier 2019, les médecins diagnostiquent à Latifa et Rayan une « maladie respiratoire d’origine allergique en rapport probable avec l’humidité à domicile ». Karim, né en juillet 2019, contractera quant à lui deux bronchiolites dans les trois mois suivant sa naissance – des pathologies « très probablement en rapport avec l’humidité », selon le corps médical.
Constatant l’insalubrité du logement, les services d’hygiène ordonnent à la propriétaire de réaliser des travaux. En février 2019, elle accepte, mais ne propose pas de solution de relogement à la famille, qui refuse donc les réparations. « Je sortais de l’hôpital car j’avais eu des complications avec ma grossesse. Je n’étais pas en état de vivre dans un appartement en travaux, et je ne voulais pas que mes enfants soient exposés en continu à des produits chimiques », explique Amal.
Face à cette impasse, la famille émet en septembre 2020 une demande de Droit Au Logement Opposé (DALO), qui lui permettrait d’obtenir un logement social en priorité. En août 2021, la famille reçoit par mail une offre de logement social à Goussainville (Val-d’Oise)… qui tombe dans les spams de la mère de famille. Retour à la case départ, pour la famille, qui ne compte désormais plus que sur un recours au tribunal administratif de Montreuil, actuellement en cours.
« J’ai honte de montrer à mes amies que je vis ici »
Après trois ans de galère, la situation ne semble toujours pas s’éclaircir. L’insalubrité n’impacte pas que la santé physique de la famille : dans l’appartement, l’ambiance est à la déprime. Latifa sanglote : «J’aimerais avoir un appartement plus grand et plus propre. J’ai honte de montrer à mes amies que je vis ici ». Voyant les pleurs de sa fille, Amel fond elle aussi en larmes. « Ça m’affecte de ne pas pouvoir offrir un bon logement à mes enfants. Je fais des crises d’angoisse et des insomnies presque tous les soirs. J’ai parfois des envies de suicide. Ce qui me retient, c’est mes enfants. Je ne peux pas les abandonner. ».
Joint par téléphone, le service d’hygiène de la mairie de Pierrefitte minimise la situation : “Une deuxième visite, organisée en collaboration avec l’ARS a eu lieu en juin 2021. L’ARS n’a pas déclaré le logement comme insalubre.” De son côté, Amel met en cause la mairie, qu’elle accuse d’inaction. « S’il nous arrive quelque chose, je les tiendrai pour responsables. Si nous sommes encore en vie... »
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