Rubrique
Longread

1982 : « Le match de la honte », l'Algérie victime d'un scandale

Alors que la Coupe du Monde 2022 se rapproche à grand pas, retour sur l’un des plus grands scandales de l’histoire du mondial que beaucoup d’amoureux et de spécialistes du football nomment encore « le match de la honte ». Nous sommes en 1982, en pleine Coupe du Monde en Espagne. L’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche s’affrontent pour une place au deuxième tour. Mais la principale victime de cette confrontation est alors l’Algérie, composée à l’époque de joueurs de légendes et qui avait réalisé l’un des plus grands exploits du football africain. Décryptage.

Allemagne de l’Ouest-Autriche 1982 : « le match de la honte »

25 juin 1982, Gijón, nord de l’Espagne. L’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche se rencontrent pour la dernière journée du premier tour de la douzième Coupe du Monde de l’histoire. L’Allemagne, championne d’Europe en 1980, est l’un des favoris de la compétition. De Karl-Heinz Rummenigge (double Ballon d’Or 1980 et 1981) en passant par Paul Breitner (champion du monde 1974) ou le gardien Harald Schumacher, ses joueurs sont parmi les meilleurs au monde.  L’Autriche est également une belle équipe. Lors de la Coupe du Monde 1978, elle avait d’ailleurs battu l’Allemagne de l’Ouest 3-2 lors du second tour, la privant ainsi de ses chances de participer à la finale. En 1982, de grands joueurs composent encore ses rangs, comme son duo d’attaque associant Hans Krankl (qui a joué au FC Barcelone) et Walter Schachner.

Ce dernier match du groupe 2 est, en plus, décisif. En effet, le résultat de cette partie déterminera qui va se qualifier pour le second tour. Une victoire de l’Autriche, et la Mannschaft passe à la trappe. Alors que cette partie aurait pu n’être qu’une formalité pour les joueurs de la sélection allemande, il n’en est donc rien. La faute à un début de compétition moins aisé et beaucoup plus compliqué que prévu. La faute, surtout, à une magnifique équipe qui va subir de plein fouet les conséquences de ce « match de la honte », l’Algérie.

L’Algérie de 1982 : une équipe de légende

Quelques jours plus tôt, dans le même stade, la Coupe du Monde espagnole s’ouvre pour l’Algérie et l’Allemagne de l’Ouest qui se font face. L’Allemagne, avec sa pléiade de stars et son palmarès impressionnant (2 Coupes du monde en 1954 et 1974, 2 Euros en 1972 et 1980), est évidemment favorite. D’autant plus que l’Algérie participe à sa toute première Coupe du Monde et qu’aucun pays africain n’a alors ni réussi à battre une équipe européenne, ni même à se qualifier pour le second tour de la compétition.

De l’autre côté du Rhin, l’optimisme est donc de mise pour cette ouverture du Mundial. Mais est-ce de l’assurance ou de l’arrogance lorsqu’un joueur dit aux journalistes, avant le match, qu’ils « dédicaceront leur septième but à leurs femmes, et le huitième à leurs chiens » ? De son côté, Jupp Derwall, leur sélectionneur, ne témoigne pas d’une plus grande humilité quand il promet que, si son équipe perd, il « sautera dans le premier train pour Munich ».

En tout cas, c’est bel et bien un colosse du football mondial qui s’élève devant la jeune équipe algérienne, dont le pays a obtenu l’indépendance tout juste vingt ans plus tôt, en 1962. Ce qui ne l’empêche pourtant pas de rentrer dans cette partie avec appétit et un souci constant de prendre des risques offensifs. Il faut dire que, niveau attaque, cette Algérie-là a du répondant. Dans ses rangs se trouve en effet Mustapha Dalheb, élu meilleur joueur algérien de l'histoire en 2001 et ayant fait les beaux jours du PSG dans les années 1970-1980. A ses côtés, le technique meneur de jeu Lakhdar Belloumi, élu quatrième meilleur joueur africain du XXe siècle en 2000 et le virevoltant ailier droit Rabah Madjer. Cinq ans plus tard, celui-ci deviendra mondialement célèbre en remportant la Coupe des Champions avec le FC Porto et, surtout, en marquant le but de la victoire d’une talonnade restée dans l’histoire et qui porte désormais son nom.

Ce 16 juin 1982, l’Algérie regarde donc l’Allemagne de l’Ouest dans les yeux. Alors que cette dernière rentre dans sa compétition en développant un jeu très prudent, l’Algérie, au contraire, n’a rien à perdre. Mettant en place un jeu collectif fluide et agréable, les « Fennecs » parviennent à tenir l’équipe d’Allemagne en respect : 0-0 à la pause. Ce qui est déjà une demi-surprise de voir les Africains résister à l’ogre allemand devient ensuite une véritable bombe. A la 52e minute de jeu, Belloumi s’échappe sur le côté et se présente seul face à Schumacher qui vient à sa rencontre. Son tir est dévié par le portier germanique mais est ensuite victorieusement repris par Madjer qui, d’une demi-volée, devance les défenseurs revenus à la hâte : 1-0 pour l’Algérie !

L’Allemagne réagit alors et se met enfin à jouer. Il ne faut que quinze minutes à Rummenigge pour remettre les pendules à l’heure et les deux équipes à égalité (1-1 à la 67e minute). Une première étape vers l’effondrement de cette inexpérimentée équipe d’Algérie ? Que nenni ! Une minute plus tard, jouant à fond la carte du contre et de l’offensive, les Fennecs se ruent de nouveau à l’abordage. L’ailier gauche Assad est lancé sur le côté, déborde, puis centre aussitôt fort devant le but allemand. A la réception, Belloumi reprend à bout portant. 68e minute, l’Algérie mène 2-1 face au champion d’Europe en titre.

L’Allemagne, secouée mais pas coulée, termine le match avec quatre attaquants. La pression s’intensifie devant les cages de Cerbah, le gardien algérien. Néanmoins, la défense des Fennecs tient le choc jusqu’au bout : victoire 2-1 de l'Algérie. Extraordinaire exploit ! Il s’agit donc de la première victoire d’une équipe africaine en Coupe du Monde face à une équipe européenne, la deuxième seulement au total après la victoire sans lendemain de la Tunisie face au Mexique (3-1) en 1978. Dès lors, le monde du foot s’enthousiasme pour cette équipe au sens collectif affuté et au jeu offensif chatoyant.

Du rêve au cauchemar

Pour son deuxième match, l’Algérie tombe face à l’Autriche qui l’emporte 2-0 avec des buts de Schachner et Krankl, alors que l’Allemagne redresse la tête en atomisant le Chili, déjà battu par l’Autriche, 4 buts à 1. L’ultime journée du groupe 2 voit donc s’opposer l’Algérie au Chili. Pour être sûrs de se qualifier, les Fennecs doivent l’emporter largement. Au bout de 35 minutes, ils mènent déjà 3-0 ! Toutefois, le Chili réagit ensuite et réduit par deux fois l’écart, n'empêchant pour autant pas l’Algérie de l’emporter 3-2.

Mais, à l’époque, les matchs des dernières journées du premier tour ne se jouent pas le même jour. En tête de son groupe avec deux victoires en trois matchs, les Algériens doivent donc attendre le lendemain 25 juin et la rencontre Allemagne de l’Ouest-Autriche pour savoir s’ils vont se qualifier. Connaissant déjà le résultat des Fennecs, pour les deux pays germaniques, le calcul est alors rapidement fait : une victoire de l’Autriche ou un match nul éliminerait l’Allemagne tandis qu’une large victoire de la Mannschaft ferait sortir de la compétition l’Autriche. Par contre, un court succès allemand, par 1 ou 2 buts d'écart, et c’est l’Algérie qui serait éliminée à la différence de buts.

Le match débute tambour battant. Il ne faut attendre que 10 minutes pour voir les Allemands ouvrir le score grâce à leur buteur Horst Hrubesh : 1-0. Le début d’une formidable démonstration offensive ? Pas du tout. Car après ce but, les joueurs de la Mannschaft et de l’Autriche cessent de jouer, se contentant de longues phases de possession stériles dans leur propre camp. Aucun pressing n’est déclenché, les joueurs courent à peine. C’est une parodie de football en pleine Coupe du Monde !

D’abord stupéfaits devant un tel spectacle, les 41 000 spectateurs expriment bientôt leur colère face à ce qui ressemble bien à un accord tacite entre les deux équipes afin de pouvoir toutes deux se qualifier pour le deuxième tour. Des huées s'échappent des gradins et des supporters entonnent « Algeria ! Algeria ! » ou « Dehors ! ». Ce réel refus de jeu partagé par les deux nations durant tout le reste de la rencontre amène même le commentateur allemand du match à décider de garder le silence et de ne plus commenter la rencontre. L'Allemagne l'emporte 1-0, permettant aux deux pays de se qualifier et éliminant ainsi l’Algérie. Outre Rhin, ce « match de la honte » a également été nommé « le pacte de non-agression de Gijón » ou, tout simplement, « la honte de Gijón ». Il ne restera pas sans conséquences.

L’impact du « match de la honte »

Alors, qu’en est-il réellement ? Y a-t-il vraiment eu entente préalable entre le staff allemand et celui de son voisin germanique ? Après la rencontre, certains diront que l’Allemagne avait surtout voulu conserver ce score de 1-0 qui la qualifiait. Que l’Autriche, ne croyant plus à la victoire et craignant d’encaisser plus de buts et donc de faire face au risque de l’élimination, se contenta de fermer le jeu pour sauver l’essentiel. « Nous voulions juste nous qualifier, pas jouer au foot » dira en ce sens Jupp Derwall, le sélectionneur allemand. Mais, face à une telle absence de jeu, d’intention, devant une telle passivité et ce spectacle indigne, les critiques ne tardèrent pas à se multiplier. Le lendemain du match, le journal sportif allemand Kicker ne donna aucune note aux joueurs, arguant qu’aucun match de football ne s’était déroulé entre les deux équipes. Le quotidien allemand Bild, quant à lui, titra sur sa Une « Honte à vous ».

Depuis cette époque, les langues de différents acteurs de cette rencontre controversée se sont un peu déliées. L’arbitre de la rencontre, l’Ecossais Bob Valentine, déclara en 2018 au Sunday Post : « C’était comme un échauffement, beaucoup de petites passes, mais aucune initiative. Le plus fou, c’est quand il y a eu un corner, un moment donné. Le ballon a rebondi sur un panneau publicitaire avant de revenir jusqu’à moi. Je l’ai récupéré et envoyé vers le poteau de corner. Un joueur allemand m’a dit : « Doucement, monsieur l’arbitre ! » ». Une confidence lourde de sens. En 2007, l’ancien international allemand Hans-Peter Briegel avoue que « l’Allemagne a triché » en 1982, avant toutefois de se rétracter quelque temps plus tard. En 2008, le gardien Schumacher demande pardon au sélectionneur algérien de l’époque pour ce match. L’Autrichien Schachner admet aussi qu’un « accord » avait été passé à la mi-temps entre les deux équipes, version que contredisent pourtant plusieurs joueurs de l’époque. Finalement, au-delà de savoir si oui ou non un tel compromis a été explicitement décidé entre les deux formations, l’ensemble des acteurs de cette rencontre mettent l’accent sur le fait que, ce score étant dans l’intérêt des deux nations, chacune d’entre elles a, sur le moment, opté pour ce non-match. Certains reconnaissant avec plus d’honnêteté que d’autres à quel point cette attitude a été antisportive. En 2014, dans Le Parisien, l’ancien joueur de la Mannschaft Karl-Heinz Forster révèle : « Nous n'avions pas bouclé de pacte avec notre adversaire. En début de seconde période, nous savions que ce score arrangerait les Autrichiens comme nous-mêmes et nous avions donc décidé de ne plus jouer à fond. Nous sommes vraiment allés trop loin. Pour les spectateurs, c'était horrible. Si c'était à refaire, je ne le referai pas ». Avant d’avouer, un peu plus loin, que s’il croisait Rabah Madjer, il lui présenterait des excuses. A tous les Algériens et aux amoureux du football aussi sans doute.

 

Dans tous les cas, conséquence directe de ce « match de la honte » entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche, la FIFA décida dès la Coupe du Monde 1986 que les derniers matchs de poule du premier tour se dérouleraient désormais le même jour et à la même heure. Une telle mesure permit alors que plus jamais de tel scandale ne se déroule comme celui dont fut victime cette si talentueuse équipe d’Algérie qui aurait mérité bien mieux en 1982. Pour la petite histoire, l’Autriche sera éliminée au deuxième tour de la compétition tandis que l’Allemagne finira vice-championne du monde. 

Bibliographie :

  • Eugène Saccomano, Mémo Foot – Coupe du monde 1998, Edition°1, 1998.
  • Olivier Margot (sous la direction de), L’Equipe, la Coupe du Monde 1974-1998 (Livre II), édité par l’Equipe, 1997.
Application Mobile

Téléchargez Encrage Media sur votre mobile pour ne pas manquer nos dernières publications !

Commentaires

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
Saisir les caractères affichés dans l'image.
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.